Ma mère Colette Maze, pianiste, née en 1914, va sortir fin avril un coffret de 3 CD consacré à Debussy. Ce dernier est son compositeur favori depuis sa jeunesse. C’est en 2001 à l’âge de 87 ans qu’elle a commencé à enregistrer l’oeuvre pour piano seul de Debussy. Et c’est en 2019, à l’âge de 105 ans qu’elle a terminé l’enregistrement de ce coffret. On y découvre son interprétation des Estampes, du Clair de lune, des deux cahiers des Préludes, des Images 1er et 2ème série, de l’Isle joyeuse etc. C’est en 1998 que j’ai décidé ma mère à laisser une trace sonore de son interprétation de Debussy. Au début, elle était réticente: « Pourquoi enregistrer alors qu’il y a tant de grandes pianistes ? ». Or j’étais convaincu du contraire car mélomane, j’avais entendu de nombreux pianistes de renom dont l’approche de Debussy m’avait laissé sur ma faim. Je ne retrouvais pas cette approche impressionniste, aérienne, délicate et envoûtante que seule Colette pouvait proposer. Elle m’a révélé alors que son toucher venait de la méthode Cortot qui faisait grande place à la souplesse et à la relaxation. Mais il n’y avait pas que la technique, car Colette était véritablement transportée quand elle jouait Debussy. C’était toujours un moment rare, un moment de rêve, de poésie, un regard inspiré par l’amour de la nature, des éléments et du cosmos. Un jeu comme une offrande, comme une prière, comme une main tendu au-delà de cette frontière qui nous sépare des forces invisibles de l’univers. De nombreuses séances d’enregistrement jalonnaient chaque année. Elle s’écoutait et n’était pas satisfaite et travaillait de nouveau ses morceaux favoris comme: « Ondine », « Reflets dans l’eau ». Elle progressait ! Je l’ai toujours connue devant son piano, le matin, l’après-midi, parfois le soir. Dans notre résidence secondaire du petit village de Sainte-Agnès, elle disposait d’un piano droit et il n’était pas rare que les passants sur la promenade Saint Sébastien, pavée de petits galets, s’arrêtaient pour écouter ces volutes sonores qui se perdaient dans ce décor montagnard. Mais la mer à Menton n’était pas loin et son grand bonheur était de contempler la mer et de marcher sur le chemin des douaniers du Cap Martin pour admirer les vagues qui jouaient sur les rochers. Elle fait signe cette pensée de Debussy: « La musique est partout. Elle n’est pas enfermée dans les livres. Elle est dans les bois, dans les rivières et dans l’air. »